jeudi 6 septembre 2012
L’étudiant non-voyant adopté par New York
Décrocher un stage de fin d’études à New York, une gageure ! Encore plus lorsque l’on est quasiment non-voyant. Ambitieux et opiniâtre, Charles-Édouard Catherine, Rennais de 24 ans, a convaincu et s’apprête à transformer son stage en emploi stable.
« Nous avons recruté Charles-Edouard parce qu’il a la classe. Regardez ! Il est là pour nous rappeler que nous avons des objectifs ambitieux », jubile Baruch Herzfeld, patron de ZenoRadio, start-up basée à Manhattan. À ses côtés, Charles-Édouard, chemise blanche, cravate grise, savoure, sans perdre son sérieux.
Amateur de radio
La recherche de stage, pour cet étudiant en sciences politiques de Bordeaux, a été un parcours du combattant. « Au début, j’étais honnête sur mon handicap », se souvient-il. Puis, il commence à le cacher « plus ou moins », constatant que ses camarades sont acceptés, eux, dans des banques, à l’Onu... Lui, qui a étudié une année en Suède, aurait pu opter pour une capitale européenne. Mais il y a sa compagne Alexandra, danseuse classique américaine, qu’il a rencontrée, il y a trois ans, dans le train à New York. Elle l’accompagne chez ZenoRadio. Au premier entretien, les recruteurs ne se rendent même pas compte qu’il est non-voyant, il leur annonce à la fin. Il est pris.
Grand amateur de radio, Charles-Édouard n’a jamais entendu parler de ce réseau américain qui permet aux immigrés d’écouter gratuitement les stations de leur pays d’origine, sur leur téléphone portable via une ligne téléphonique. La start-up a déjà séduit près de 200 000 Guatémaltèques, Philippins, Haïtiens,... vivant aux États-Unis. Charles-Édouard s’occupe de convaincre les radios francophones de rejoindre le réseau.
Coups de téléphone en série, courriels, newsletters... Il travaille avec une synthèse vocale : « Un programme qui me permet d’écouter ce que je lis et ce que j’écris. » Son collègue Haïm le taquine. « Charles commence ses lettres par ’Cher Monsieur’, alors qu’ici, on dit tout de suite ’Salut ça va ?’ ». Cette familiarité américaine ne lui déplaît pas. « Même si elle est aux antipodes de mon éducation », admet le jeune homme avec candeur.
Charles-Édouard quitte son bureau à l’heure de pointe. Courses, bousculades, embouteillages, klaxons... Il se fraye un chemin sur la 7eavenue. Pratique, les angles de rue sont perpendiculaires, les lignes de métro vocalisées et les bus accessibles aux 100 000 non-voyants de New York. Il lui faut une heure pour regagner City Island où réside sa compagne.« Cela me donne le temps de lire Proust », en l’écoutant.
article paru dans Ouest-France le 6 septembre 2012