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Bénédicte témoignage dans "Marie Claire" : "Elle ne savait pas que son bébé naîtrait aveugle. Mais sa petite Léna se révèle vite être une fillette super-éveillée, qui adore aller àla crèche, puis àl’école. Où elle s’épanouit et apprend comme les autres".

vendredi 6 juin 2008


Ma fille ne m’a jamais vue.

Nous avons emménagé à Paris, j’étais enceinte de cinq mois. C’était mon deuxième enfant. J’ai trouvé un hôpital dans le douzième. Il y avait un souci au niveau du cordon ombilical, on m’a fait pas mal d’échographies. Tout s’est bien passé. Léna est née le 10 janvier, à terme, sans problème particulier. Nous avons remarqué, quand elle est née, qu’elle n’ouvrait pas du tout les yeux. Je n’ai pas eu cet échange du premier regard, quand un enfant naït, mais je ne m’inquiétais pas. Ils l’ont emmenée pour le premier examen et là, ça a été très très long. On me dit qu’ils appellent la pédiatre de garde. La pédiatre revient avec mon bébé dans les bras. Elle commence à nous expliquer, un blabla de cornée blanche, qu’il y a un souci au niveau des yeux, qu’elle doit voir un ophtalmo. Je pensais à un ophtalmo au coin de la rue, mais en fait la pédiatre ordonne un transfert express à Necker, aux Enfants Malades, un hôpital dont je connais le nom par la télévision, pour subir des examens sous anesthésie. Cela a duré une semaine. Je suis avec ma puce dans une petite chambre. Nous avons eu un diagnostic : " Syndrome de Peters ", rien de plus. Aucun toubib ne m’explique la cause , un mauvais développement de l’œil dans l’embryon. Le professeur ne nous parle pas, l’infirmière non plus. Personne ne me console. Parfois, une femme de ménage, une grosse dame black, ouvre la porte et, en me voyant pleurer, me dit : " Mais il faut pas pleurer, madame ", avec son accent. Heureusement, le téléphone est là. Ma mère, ma fidèle amie Céline, qui est infirmière, me réconfortent à distance. On nous a juste dit de revenir tous les mois pour des examens, puis tous les trois mois. Nous savions qu’elle ne voyait pas bien, mais nous ne savions pas à quel degré. Personne n’a jamais prononcé le mot " aveugle". En fait, elle voit un petit peu, les couleurs contrastées, mais on considère qu’une personne est aveugle en dessous de un dixiËme. Longtemps, j’ai dit " mal voyante ". J’ai mis au moins deux ans avant de dire " aveugle " . Elle avait aussi un problème de colonne vertébrale, qui n’avait aucun rapport. Elle a subi une opération. Cela devait durer trois jours, il y a eu une complication, cela a duré trois semaines. Les toubibs défilent, c’est dur. Nous sommes rentrés à la maison. Nous avons essayé de nous remettre à flot psychologiquement. Trouver un rythme, avec un mari qui travaille et deux enfants à gérer. Nous avons fait le tri des amis. Ceux qui, au lieu de nous réconforter, avaient besoin d’être rassurés eux-mêmes… Nous avons mis au moins un mois avant de nous mettre un bon coup de pied aux fesses. Au début, j’avais tout le temps des crises de larmes. Notre première fille n’avait eu aucun problème. Le domaine hospitalier, quand on ne connait pas, c’est difficile à vivre au quotidien. Attendre les médecins toute la journée, rencontrer des parents qui ont d’autres problèmes. Nous avons vu des enfants qui avaient des malformations de la boite crânienne, des cancers ; on apprend à relativiser. Nous avons attendu quatre mois avant de redescendre dans notre famille. Je leur avais dit qu’elle voyait mal. Je voulais qu’on nous considère comme d’habitude. J’essayais de me protéger. Dans la rue, les gens la regardent. Elle a les yeux d’un bleu bizarre. Un jour, je fais la queue dans un MacDo , la personne qui me précède se retourne, la regarde et me sort : " Oh ! mon dieu ! Qu’est-ce qu’elle a votre fille ? – Rien, elle est aveugle. – Pour vivre avec ça… – Vous avez raison, j’aurais dù la tuer à la naissance, elle ne devrait pas vivre." C’était la première fois que je suis devenue agressive au propos qu’on tenait sur mon enfant. Nous aurions pu lui mettre des lunettes noires, comme certains font. Mais ça aurait masqué le peu de vision qu’elle a, donc aucun intérêt. Pourtant, nous la mettions face à nous dans la poussette, pour éviter d’afficher ce regard, qui était nouveau pour nous. Pour lui éviter le bruit et l’agitation en face, qui lui faisaient peur, aussi. Ce n’était pas pour la cacher , mais ça restait encore de la protection. La différence, le handicap, tout ça il faut le digérer. En plus, nous sommes habitués à ses yeux, donc nous ne pouvons pas trop juger les réactions de ceux qui les voient pour la première fois. Mais elle ne savait pas qu’elle était différente des autres, elle était heureuse, elle riait tout le temps. On ne m’a rien dit. Je me suis débrouillée. Il n’y pas de manuel du parfait parent d’enfant handicapé. J’ai commencé à m’intéresser à ce qui existait sur le sujet. S’il y avait des jouets spéciaux, des institutions. Je m’acharnais sur mon ordinateur, sur internet, je m’inscrivais à des forums, des sites, des chats avec des parents pour avoir des conseils. Je suis tombée sur une association qui prenait en charge les bébés mal voyants ou aveugles à partir de trois mois. Nous nous sommes posé la question si nous allions la faire garder ou si je resterais à la maison. On nous a plutôt conseillé la crêche. J’ai trouvé une crêche ordinaire de l’arrondissement. Grâce à son handicap, les portes s’ouvrent facilement. Cela m’a permis de reprendre mon travail. Elle y a passé trois ans. La directrice m’a demandé de l’annoncer aux autres parents lors d’une réunion d’information. J’avais un peu l’impression que j’étais à un jugement et que je devais tÈmoigner : " Oui, j’ai une enfant aveugle. Attention, vos enfants vont la côtoyer ! " Le personnel "tait extraordinaire. Celles qui ne connaissaient pas avaient toujours une petite appréhension au début, elles essayaient de la surprotéger. Léna était souvent la chouchou pour les plus accros à cette minette. Une orthoptiste, une psychomotricienne et une éducatrice spécialisée venaient une heure par semaine, pour l’aider à évoluer dans ce monde fait pour les voyants. Les séances d’orthoptiste, c’est super. C’est un travail pour concentrer le peu de vue qu’elle a. Elle le fait encore. La psychomo­tricienne, c’était pour apprendre à maîtriser son corps. Au début, c’est faire des roulades, toucher ses pieds , ça évolue en fonction de son âge. Par exemple, apprendre à s’asseoir : elle n’est pas stimulée par la vue, par exemple, donc elle s’assoit plus tard qu’un autre enfant. En fait, elle prend du retard sur tout. Elle n’a pas marché toute seule avant deux ans. Nous avons fait une analyse génétique. Le syndrome de Peters, nous aurions pu être porteurs tous les deux, mais en fait non, Léna est le premier maillon. Donc nous avons mis en route un troisième enfant. Mathis est né trois ans après Léna. La naissance d’un petit frère fait parfois régresser, eh bien c’est tout le contraire qui s’est produit. Cela l’a transformée. Elle est devenue propre de jour comme de nuit. Elle a commencé à nommer les couleurs. Quand il est né, elle adorait le toucher. Son visage, ses mains, ses pieds. Quand j’attendais Mathis, j’ai été arrêtée tôt, donc j’ai plus participé à la vie de la crêche. Je parlais plus avec le personnel, et c’est là que je me suis rendu compte qu’elles s’étaient toute impliquée dans l’éveil de Léna. Cela la stimulait d’être avec d’autres enfants. Elle a franchi les étapes. Elle est passée de la petite section à la grande sans problème. Elle a appris à manger, et surtout à mâcher. Les enfants apprennent par imitation, normalement. Quand ils ne voient pas qu’on mâche, ils ne le font pas spontanément. Elle a une étiquette comme tout le monde, avec son nom et sa photo, avec une ligne de braille en plus. Elle va avoir quatre ans, elle est rentrée à l’Ècole maternelle sans problème particulier. L’institutrice s’investit beaucoup, elle trouve des astuces, par exemple avec du carton ondulé. Une éducatrice spécialisée vient deux matinées par semaine pour elle. D’autres familles disent qu’elles galèrent. Nous avons de la chance. Léna dit : " Je suis aveugle" , mais ce n’est pas avant cinq ou six ans qu’elle comprendra en quoi elle est différente. Il y a des enfants qui veulent l’aider dans la cour, mais elle ne veut pas : ´" Non, non ! " Elle veut se débrouiller toute seule. Elle s’approche d’autres enfants et cherche ses copains et copines. Quand elle ne sait pas, elle demande : "Tu t’appelles comment, toi ?" Ils lui parlent beaucoup de la couleur de ses yeux. Elle me dit : "Maman, ils sont blancs et un peu de bleu mes yeux ? – Oui ma chérie, c’est bien ça ! " Nous ne voulons pas qu’elle subisse la pitié des autres. A quatre ans il n’y a pas encore de moqueries, mais je crains l’adolescence. Nous prenons soin de bien l’habiller. Nous sommes super fiers, parce qu’elle réussit à faire de la trottinette depuis quelques semaines. Elle tombe, elle remonte dessus, elle rit. Avant, nous avions des moments de doute, avec mon mari, quand elle n’arrivait pas à faire certaines choses. Maintenant, nous nous félicitons plutôt de ses réussites. Nous avons déménagé en Bretagne et nous avons un jardin, cela l’a bien dégourdie – le toboggan, le gazon, la plage. Nous nous sommes posé beaucoup de questions, nous nous demandions ce qu’elle pourrait faire plus tard, mais j’ai découvert des mamans qui avaient des enfants aveugles sur les forums internet, des adultes aveugles qui sont à l’université. J’en ai rencontré une qui est avocate. Elle ne pourra pas conduire, des trucs comme ça. Elle se trouvera un super mec qui aura une voiture pour l’emmener, ou bien sa vieille mère. Au début, j’achetais énormément de jouets colorés, lumineux, musicaux. Maintenant, j’ai fait machine arriËre, j’achète des jeux plus simples, comme ceux qu’elle a à l’Ècole. Pour Noël cette année, elle a compris qu’il allait se passer quelque chose, mais elle n’avait pas d’idée de cadeau vu qu’elle ne voit pas toutes ces pubs à la télé et les jouets des rayons de magasin. Dur dur, pour une petite fille aveugle, de choisir quelque chose. Elle m’a dit qu’elle voulait des feuilles blanches, ce qui m’aurait fait faire d’énormes économies si je lui avais obéi. Elle adore le sapin. Elle voit les boules, les trucs qui brillent. Son oreille est son sens le plus développé. Elle a parlé plus tôt que sa sœur, elle a un grand vocabulaire. Elle connait par cœur des CDs entiers de chansons, elle a une énorme mémoire. Il faut bien qu’il y ait un aspect positif à sa cécité. Par contre, le toucher pourrait progresser. Il faudrait qu’elle explore les formes. Elle a passé par des périodes : celle où elle tapait sur des trucs pour savoir quelle consistance ils avaient, celle où elle ouvrait et fermait les portes. Elle nous appelle sans cesse pour savoir où nous sommes, ce qui est parfois usant. Elle fait du pré-braille. Elle commence à toucher, ça lui plait bien. Moi, je me suis investie, évidemment. Je connais déjà l’alphabet. Je sais le lire à l’œil, mais pas au toucher. Il y a des versions en noir et blanc pour les parents, des versions en relief pour les enfants. L’annÈe prochaine, nous recevrons une machine à écrire spéciale et une embosseuse, c’est l ’ éducation Nationale qui finance ça. J’ai fait des T-shirts avec des petits strass pour Léna et pour moi, des phrases en braille : " Jolie petite fille, Jolie poulette, maman d’enfant aveugle ". Du coup, dès qu’elle touche un t-shirt d’une petit camarade où il y a une perle, un petit truc, elle lui dit : "T’as mis du braille sur ton t-shirt " Léna est bien dans sa peau, elle sourit tout le temps. Elle se débrouille, elle est autonome, donc nous sommes moins inquiets qu’au début. Nous la laissons vivre. Elle se place dans un rayon de soleil, elle parle beaucoup, elle se raconte sa journée ou invente n’importe quoi, sans faire attention à nous. Elle rit beaucoup en répétant des gros mots qu’elle entend. Je la regarde jouer, je me demande si elle aurait la même pêche si elle voyait. Elle est comme ça. Je ne l’imagine pas autrement.

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